Sénégal: Les autorités doivent respecter et protéger la liberté d'expression pour tous, indépendamment de la politique

Willy Kemtane / Shutterstock

22 février 2024: PEN International, la principale et plus grande association d'écrivains, est gravement préoccupée par les restrictions croissantes au droit à la liberté d'expression et par les agressions physiques contre les journalistes ces dernières semaines au Sénégal. L'organisation condamne fermement l'usage excessif de la force contre les manifestants pacifiques qui sont descendus dans la rue pour s'opposer aux plans illégaux de report des élections présidentielles, ce qui a entraîné des meurtres, des arrestations arbitraires et la détention de manifestants pacifiques, la censure de la presse indépendante, la suspension des services Internet et des interdictions arbitraires de manifestations pacifiques. Le Sénégal, un pays avec une si longue tradition de démocratie, ne peut pas se permettre de piétiner les droits humains et la dignité d'une telle manière.

PEN International appelle les autorités sénégalaises à respecter les obligations constitutionnelles, régionales, et internationales du Sénégal en matière de droits humains. En tant qu'État partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP), le Sénégal a l'obligation contraignante de respecter, de promouvoir, de protéger, et de mettre en œuvre les droits humains de tous, y compris les droits à la liberté d'expression, à l'accès à l'information, et à la liberté de réunion pacifique, conformément aux articles 19 et 21 du PIDCP et aux articles 9 et 11 de la CADHP. Ces obligations exigent du Sénégal qu'il cesse de s'en prendre aux médias et à la dissidence, notamment par la persécution des journalistes, l'annulation arbitraire de licences d'exploitation, la fermeture d'Internet et les restrictions en matière de télécommunications, ainsi que par la répression de la société civile.

« Supprimer la presse indépendante, restreindre l'Internet, et réprimer les citoyens qui exercent légitimement leur droit à la liberté d'expression, c'est saper les promesses de la Constitution du Sénégal. Ces droits humains sont garantis et protégés par la Constitution du Sénégal. Il est regrettable qu'au cours des dernières années, les autorités sénégalaises aient constamment joué avec la voie de l'autoritarisme qui a rapidement érodé l'exemple démocratique acclamé du Sénégal. Les responsables doivent éviter de s'engager dans cette voie avant qu'il ne soit trop tard. Personne ne devrait être persécuté pour avoir souhaité et appelé au respect et à la protection de la gouvernance démocratique de son pays », a déclaré Burhan Sonmez, président de PEN International.

Tout en se félicitant de la libération en cours des manifestants détenus dans les prisons sénégalaises depuis l'éclatement des manifestations qui ont balayé le pays en mars 2021, PEN International appelle les autorités sénégalaises à accélérer toutes les procédures concernées et à libérer sans condition toutes les personnes encore en détention arbitraire pour avoir exercé pacifiquement leurs droits à la liberté d'expression, d'association et de réunion, et à abandonner toutes les charges qui pèsent sur elles. PEN International demande également aux autorités sénégalaises d'ouvrir une enquête publique indépendante sur les incidents au cours desquels les forces de sécurité ont fait usage de la force meurtrière contre des manifestants depuis le début de la crise politique dans le pays en 2021. Les autorités doivent traduire tous les responsables en justice dans le cadre de procès équitables et veiller à ce que les victimes et les survivants des brutalités policières, ainsi que leurs familles, bénéficient d'un accès effectif à la justice et d'une réparation adéquate, notamment sous la forme d'une indemnisation matérielle et d'un soutien médical et psychosocial.

PEN International demande instamment à l'Assemblée nationale du Sénégal de revoir et de modifier d'urgence les lois sur l'utilisation des armes à feu par les forces de sécurité, conformément aux obligations internationales du Sénégal en matière de droits à la liberté d'expression et de réunion pacifique. L'organisation encourage le Sénégal à inclure dans ses politiques de maintien de l'ordre les normes et les principes inscrits dans les lignes directrices de l'Union africaine pour le maintien de l'ordre dans les rassemblements par les responsables de l'application des lois en Afrique, les principes internationaux des droits humains sur la protection des droits humains dans les manifestations et les principes de base des Nations unies sur le recours à la force et l'utilisation des armes à feu par les responsables de l'application des lois.

Enfin, l'Union africaine (UA), la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) et la communauté internationale ont le devoir de tenir les autorités sénégalaises responsables du respect des obligations conventionnelles du pays et d'intervenir pour apporter un soutien rapide et complet afin d'éviter une escalade similaire à celle qui a conduit à la crise actuelle.   

Contexte

Le 3 février, le président de la république du Sénégal Macky Sall a annoncé que les élections présidentielles prévues pour le 25 février seraient reportées pour une durée indéterminée.  Ce décret a été suivi d'une session parlementaire chaotique le 6 février, au cours de laquelle les membres de l'Assemblée nationale ont voté une loi reportant l'élection présidentielle du 25 février au 15 décembre 2024. Les députés opposés à cette loi ont été expulsés de force par les forces de sécurité dans le but apparent de les empêcher de voter. En conséquence, des manifestations ont éclaté dans plusieurs villes du Sénégal.

Les forces de sécurité ont fait un usage excessif et, dans certains cas, une force meurtrière contre des manifestants pacifiques. Selon une déclaration de Human Rights Watch, au moins quatre personnes sont mortes des suites de blessures par balles réelles infligées par les forces de sécurité, tandis que 60 ont été blessées et au moins 271 arrêtées au cours des manifestations, parmi lesquelles plusieurs politiciens et activistes. Dans ses efforts pour étouffer la dissidence, la liberté d'expression, et l'accès à l'information, le Sénégal a adopté une série de tactiques répressives, notamment l'agression contre et la détention de journalistes qui couvraient les manifestations, la suspension répétée de la licence du média indépendant Walf-TV en 2023 pendant un mois et le 4 février 2024 avant son rétablissement le 11 février, les fermetures récurrentes de l'Internet et les restrictions sur les communications mobiles, la dernière fermeture de l'Internet mobile ayant eu lieu le 5 février.

Le 15 février, le Conseil constitutionnel sénégalais a annulé la loi votée par le Parlement pour reporter les élections présidentielles, annulant ainsi le décret présidentiel de report des élections. Le lendemain, le président Macky Sall a publié une déclaration dans laquelle il s'engageait à respecter pleinement la décision du Conseil constitutionnel et à mener des consultations pour que l'élection présidentielle ait lieu « dans les meilleurs délais ». Les autorités auraient libéré plus de 160 manifestants de l'opposition le 19 février et une marche pacifique réclamant la tenue rapide des élections a été autorisée le samedi 17 février, pour la première fois depuis l'annulation du décret présidentiel.

Au cours des trois dernières années, le Sénégal a été confronté à des tensions politiques sans précédent, alimentées par une période préélectorale turbulente qui a commencé avec l’ambition prolongée du président Macky Sall de se présenter aux élections pour un troisième mandat, ce que la constitution sénégalaise interdit, et le harcèlement judiciaire politiquement motivé d'éminents dissidents. C'est notamment le cas du candidat à la présidence Ousmane Sonko depuis 2021, qui a été condamné le 1er juin 2023 pour un délit fallacieux de « corruption de la jeunesse » après avoir été acquitté d'allégations de viol et de menaces de mort. Le 3 juillet 2023, le président Macky Sall a finalement cédé à la pression locale et internationale en annonçant qu'il ne briguerait pas un troisième mandat, et la condamnation d'Ousmane Sonko l'exclut de la course à la présidentielle de 2024.

Depuis le début des turbulences politiques au Sénégal en 2021, plus de soixante personnes auraient été tuées et des centaines blessées lors de manifestations en raison de l'usage excessif de la force par les forces de sécurité, y compris des tirs à balles réelles. En janvier 2024, près de 1 500 membres de l'opposition et militants avaient été arrêtés, détenus et inculpés pour des infractions liées à leur participation aux manifestations depuis 2021.

Pour de plus amples informations, veuillez contacter Nduko o'Matigere, responsable de l'Afrique à PEN International, 167-169, Great Portland Street, Londres, W1W 5PF, Royaume-Uni - courriel [email protected].


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